Pourquoi j’écris ça ?

Est ce que je ne me fais pas du mal en couchant sur du papier tous ces événements, ces questions sans réponses, ces tristesses, ces joies, ces peines ?

A vouloir décortiquer ce qui m’envahit, se terre, se révèle ou me hante, n’est ce pas aller piquer sur des douleurs sourdes et les rendre encore plus vives ? Plus piquantes ? Plus acides ?

 

Je me suis posée plusieurs fois la question en me demandant ce qui ne tourne pas bien chez moi. Mais en dehors du désir de transmettre et de communiquer, je crois qu’il y a ce besoin d’accoucher de ce qui me trotte en tête, de vomir ce qui me ronge…
La maternité, surtout quand on y échoue, c’est quelque chose qui vous change, complètement.

– Il y a cette phase de lune de miel où l’on se décide à vouloir un bébé et où on se lance à la conquête de ces nouvelles promesses sans vraiment réfléchir, ou se questionner. On va faire un bébé, tout le monde en fait depuis la nuit des temps et maintenant c’est notre tour.
– Et puis il y a la phase des questions, et d’apprentissage. Celle où on se dit que c’est bizarre, ça ne marche pas. Alors on se renseigne un peu, vaguement inquiet.
– Et lorsque ça ne débouche pas sur quelque chose, on passe à la phase des doutes, des craintes… et de la médicalisation. C’est l’heure où, main dans la main, on franchit bravement le palier d’un médecin, d’un labo, de consultations spécialisées… à la recherche de réponses.
– Dans le meilleur des cas c’est alors l’étape des “solutions”. Monsieur va faire “ça”, ou madame va devoir passer par “ça” voire… “on vous propose d’essayer ça”. Alors on sourit bravement, on prend une grande respiration, et on y va…

 

Souvent on a déjà mis un ou deux ans pour en arriver là.
Moi, c’est typiquement mon parcours. Avec des hauts, des bas et beaucoup… beaucoup… de frustration.

 

Et puis il y a eu cette grossesse qu’on n’attendait (presque) pas.
Une belle grossesse spontanée, par voie naturelle, qui a fait la fierté du papa (et de la maman).
2 mois de surprises et une vie qui s’éclaire vraiment d’un jour nouveau, avec des pronostics d’abord un peu à mi-voix, puis des projets de plus en plus avoués. Et puis le devis de réfection de la “chambre d’ami” en profitant de quelques semaines de déplacement à l’étranger pour faire les travaux.

 

Et puis il y a eu ce soir où, vaguement inquiète, je me suis rendue aux urgences en voulant être rassurée vis à vis de quelques symptômes pas très rassurants à une semaine du départ à l’étranger.
J’y suis allée mi-figue mi-raisin, mais en étant sure que je serai renvoyée chez moi avec un paternaliste “c’est normal, vous êtes enceinte, reposez vous et ne venez pas aux urgences à chaque mal de tète”.
Mais échographiste interne n’a rien dit. Rien de rien.
Elle a fini par dire qu’elle allait chercher sa chef, et qu’elle appelait mon mari.

Sa chef est venue.
Le diagnostic d’un cœur qui ne bat plus.
Ces minutes beaucoup trop longues sous le néon de l’hôpital.
Les questions sans réponses, les pleurs, le refus de la réalité.
Le retour à la maison.
Le Cytotec. Les contractions. Le sang.
La concrétisation de ce qui m’avait été dit et que je n’avait pas “compris”.
Le choc de quelque chose que votre corps expulse malgré vous et qui n’en finit plus de se vider hors de vous en vous laissant tremblante, humiliée et terriblement vide.

 

Vide, est ce que je le suis vraiment ?

Parfois la tristesse et le deuil vont faire un tour. Et alors j’assume, je me tourne vers l’avenir et je sais parfaitement de quoi il en retourne. La prochaine fois je serais préparée, on pourra mieux en parler et on saura se protéger des coups du sort.

Mais à d’autre moments… c’est différent.
Ce n’est plus la rage endeuillée des premières heures. Ce refus du verdict et l’injustice des rêves qu’on m’arrache pour me dire de recommencer plus tard. Ce n’est plus la perte de ce bébé qui n’a pas de nom et qui repose, mort, au creux de mon ventre.

 

Ce n’est pas non plus cette colère de ce qu’on m’a donné pour me le reprendre, cette jalousie envers ceux qui connaissent la maternité sans ces heurts et ces épreuves.

C’est plus instinctif, plus mature mais non maîtrisé. C’est juste le vide. Un vide dans le corps, dans l’esprit… et surtout des bras vides de ce qu’on appelait à pouvoir chérir, bercer et cajoler. C’est un deuil qu’il faut savoir vivre et non pas juste traverser.

 

Comme mon utérus qui se contracte pour expulser la matrice et l’embryon d’une autre vie, mon esprit se tord et se vide de ces débuts de rêves qu’on avait à peine commencé à reconnaître et s’autoriser à vivre.